Laurent PERBOS 

Il y a fort longtemps, un roi, Nabuchodonosor II, fils de Nabopolassar, régnait glorieusement sur un vaste empire, celui de Babylone.
Située au nord de la péninsule arabique, en plein cœur de terres arides, Babylone était une cité impériale, déjà connue pour ces murailles imprenables et sa tour de Babel.
Elle était, en ce temps là, considérée comme, la perle du désert.
L’empire de Nabuchodonosor II, était immense. Il s’étendait de l’Egypte à la Syrie en passant par la Palestine et les verts coteaux d’Iran. C’est de cette région, qu’était originaire son épouse Amytis de Médie, une princesse perse à la beauté sans égal.
Leur idylle était sublime, et leur bonheur éclatant à l’instar des richesses du royaume. Mais hélas, rien de tout cet or, de tous ces trésors ne suffit pour ôter cette mélancolie palpable dans les yeux d’Amytis.
Un soir, Nabuchodonosor s’allongea auprès de sa princesse dans le but de percer le mystère de la profonde tristesse qui emplissait le cœur de son épouse. D’abord, ils se livrèrent aux partages de souvenirs, ceux de leur enfance joyeuse. Puis, ils comparèrent leurs goûts des choses, de la vie. Parfois ils riaient même, mais, tout deux, étaient dans la quête commune de percer le mal dont souffrait la princesse. Ils s’écoutèrent durant toute la nuit. Puis soudain, à l’approche du soleil naissant, le visage de la princesse s’obscurcit, jusqu’à ce qu’une larme ne finisse par couler sur son visage.
Le roi resta pétrifié. Puis il demanda à son épouse :
- « Mais pourquoi cela ? A cet instant magique où le jour se lève, ton cœur saigne ?
Serais-ce devant tant de beauté ?
- Oh certes, l’aube est toujours une splendeur. Mais cette beauté ne se dévoile pleinement qu’en présence des oiseaux, qui, sentant le jour approché, se mettent à chanter, mais il n’en n’est rien ».
En prononçant ces mots le visage d’Amytis s’éclaircit légèrement.
Alors, Nabuchodonosor, comprit enfin de quel mal souffrait sa princesse maintenant. Il avait beau posséder le plus grand royaume du désert, celui-ci ne suffisait pas à illuminer le cœur de sa reine. Quoi de plus sec hélas, et de plus aride que cette terre, dénuait de tout arbre à l’horizon. Sans forêt majestueuse, le roi réalisa qu’il n’y aurait pas la moindre chance de voir un oiseau s’y poser et donc aucun espoir, un jour, de les entendre chanter.
Alors, il ordonna à ses meilleurs chevaliers de partir, aux quatre coins du monde, en quête des plus belles espèces de plantes.
A leur retour, le roi commanda de les planter, puis après quelques temps, la végétation avait développé de larges racines. La forêt devint luxuriante. Les fleurs s’épanouissaient et leur parfum de roses, de jasmins, et de lilas embaumait toute la cité. Les jardins étaient étincelants de mille beautés et enfin chardonnerets, rossignols, ibis et autres sublimes volatiles vinrent enfin s’y poser.
Dés lors, chaque nuit en s’endormant, la princesse s’abandonne au plaisir certain, de se réveiller aux chants des oiseaux des jardins de Babylone.
Laurent Perbos.
 
 
 
 
 
« Sumbolon » ou le puzzle de l'artiste
A Saint-Flour, l'artiste Laurent Perbos assemble ce que Florus, l'évêque et créateur de la ville, séparait de sa main pour permettre son passage : la roche. Chacun, à leur manière, reconfigure la ville pour son propre usage, usant de stratagèmes pour faire naître la légende. Mais la comparaison s'arrête là, l'artiste n'ayant rien à prêcher ni personne à convertir.
Les sculptures que Laurent Perbos a imaginées pour Saint-Flour renvoient en écho le paysage minéral de la Haute-Auvergne. Appréhendés autant pour leurs qualités matérielles que pour leur sens, ces rochers extraits d'une carrière locale et sélectionnés au hasard valent pour tous les rochers. Ils constituent les pivots centraux des œuvres, autour desquels les autres signes se distribuent.
Les pierres ont toujours joué un rôle fort dans l'imaginaire de l'homme. On les dit dotés de propriétés magiques, contenant des esprits et à l'origine de nombreuses légendes. Un monde onirique s'introduit subtilement par l'entremise des rochers : quelle mer glaciaire a pu charrier de tels rochers jusque dans la ville ? Quel esprit s'est figé dans ces pierres ? Des récits se mettent en place.
Ces sculptures de Saint-Flour poursuivent la série des œuvres figurant des objets naturels - arbres, feu - sculptés en matériaux ostensiblement artificiels. Ici l'artificialité de l'objet est rendue par la combinatoire, qui fait œuvre.
Laurent Perbos est un prosélyte des rapprochements contre-nature : il force la « nature-artiste » et introduit des cas particuliers dans les hasards aveugles et mécaniques de la biologie. Les œuvres prennent la forme « d'inventions conjuguées » par la mise en relation de plusieurs éléments antagonistes. Des interférences entre formes naturelles et formes culturelles sont provoquées et redoublent leur rivalité. Le regardeur est confronté à un objet a priori bien défini qui, à un moment, s’éloigne de ses buts et transgresse sa nature.
Par un savant jeu d'équilibre entre colorimétrie et volume, tension et torsion, les matériaux se confrontent. L'étai tirant-poussant, habituellement utilisé pour soutenir un mur qui menace de s'écrouler ou lors de travaux, est ici employé comme trait d'union, instituant un rapport entre deux rochers et rendant visible un lien immatériel. Ailleurs, il suspend un jardin étagé, comme une montagne de Babylone pour massif végétal.
Ces effets combinatoires produisent des décalages de sens et de fonctions qui mettent en branle un jeu d'associations d'idées. Le terme grec « sumbolon » recouvre la notion d'objets incomplets, qui ne prennent leur signification qu'au contact les unes des autres, comme dans un puzzle. Les œuvres de Laurent Perbos font surgir des « sumbolon » inattendus, qui révèlent in fine des liens de réciprocité entre éléments. Un symbole est créé en même temps qu'un nouveau sens est révélé. Mais l'artiste n'en livre pas la clé : l'initiation revient au spectateur, à l'aune de son imaginaire et de ses désirs.
Laetitia Chauvin, Mai 2014
 
Retour